N°18
AVRIL . MAI . JUIN 2016
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BLUES BREAKERS
JOHN MAYALL WITH ERIC CLAPTON
50 ANS DÉJÀ !
Par Jean-Louis Guinochet
Cinquante ans après sa sortie, Blues Breakers With Eric Clapton est
certainement l’album qui a donné naissance au British Blues Boom à la fin des sixties.
Enregistré en avril 1966 et paru le 22 juillet 1966, il est considéré aujourd’hui par certains comme le meilleur disque de blues britannique jamais
enregistré.
Qu'en était-il des acteurs à cette époque ?
Pour John Mayall, "le boss" qui a formé son premier groupe Les Powerhouse Four dix ans plus tôt,
puis les Bluesbreakers en 1963, et acquis une bonne réputation de bluesman en accompagnant John Lee Hoocker pour sa tournée au Royaume-Uni en 1964, cet album se
positionne naturellement après "John Mayall plays John Mayall" sorti le 26 mars 1965 . Il a déjà 33 ans, il sait chanter et jouer de la
guitare correctement. Il a surtout une très bonne technique et un bon feeling blues au piano, à l'orgue et à l'Harmonica. Il a su s'entourer de musiciens talentueux plus jeunes, généralement nés
à la fin de la guerre et son groupe joue régulièrement au Marquee, un club londonien branché.
Pour Eric Clapton qui a une solide réputation de guitariste de blues virtuose, et que John Mayall accueille les bras ouverts en avril 1965
alors qu'il vient de quitter les Yardbirds 15 jours plus tôt puisque s’éloignant trop du blues, c’est l’occasion rêvée d’intégrer un groupe qui partage son « purisme".
Après un répertoire et une musique parfaitement rodés sur scène (dont un des concerts au Marquee à Londres qui reste à jamais gravé dans ma mémoire alors qu’en tant que jeune français fraichement
débarqué je ne connaissais même pas le nom de ce brillant guitariste qui jouait derrière John Mayall), cet enregistrement a été préparé sur tous les plans de façon à mettre Eric Clapton très en
avant.
Il vient tout juste d’avoir 21 ans, il est plein d’ambition, il est déjà proclamé "dieu" de la guitare par ses fans qui bombent le légendaire "Clapton Is God" sur les murs de londres.
Lors des enregistrements, Il joue donc beaucoup et très bien.
C’est le premier album qui cite son nom, et bien en vue, sur le recto, mais son titre ambigu ne satisfait ni les membres des Blues Breakers, ni Clapton, qui trouve que son nom « se voit moins que
celui de John Mayall ».
Ce sera également la première fois que l’on entend sa voix en lead sur un enregistrement puisque John Mayall aura réussi à convaincre un Clapton réticent à chanter sur la reprise de "Ramblin’ On
My Mind » de Robert Johnson.
Pour Mike Vernon, le jeune producteur de 22 ans qui vient de produire « Five Long Years » d’Eddy Boyd en 1965, ce disque sera le début d'une longue et brillante carrière.
( Il produira les albums de nombreux artistes de blues et de rock britanniques des années 1960 et 1970, notamment les Bluesbreakers, David Bowie, Duster Bennett, Savoy Brown, Chicken Shack, Eric
Clapton, Fleetwood Mac, Peter Green, Danny Kirwan, John Mayall, Christine McVie et Ten Years After. Il est également fondateur du label Blue Horizon ).
Qu'en est-il du disque et de l’origine de son succès ?
De l’album, à l’image de ce que souhaitait Mike Vernon, tout est d’une grande simplicité.
La photo de couverture
Contrairement à la pose figée et aux paillettes des groupes de l’époque, sur la photo nous voyons quatre personnes désinvoltes dans leurs tenues quotidiennes devant
un mur délabré.
Clapton ne regarde même pas le photographe. Clapton n’avait pas envie de poser ce jour de grand froid, assis contre ce mur. Il a acheté une BD de Beano pour passer le temps et a ignoré le photographe.
Les jeunes Anglais ont adoré et l'ont surnommé le Beano Album(1).
Au delà de l’anecdote, cette couverture presque acétique devenue légendaire, très souvent copiée ou détournée, nous indique que le blues, contrairement à la pop, a
des racines et une épaisseur bien éloignées des codes dictés par le hit-parade.
La musique
La jeunesse britannique découvre un blues électrique nouveau qui ne vient pas de Chicago.
Le choix de la douzaine de titres a son importance, qui alterne des blues anciens et des plus récents, passant d’Otis Rush à Freddie King et de Robert Johnson à Little Walter et quelques compositions de Mayall.
La qualité des musiciens des Bluesbreakers aussi est primordiale. Aux côtés de John Mayall et d’Eric Clapton, John McVie (2) à la basse et Hughie Flint (3) à la
batterie swinguent et groovent comme personne à l’époque. Clapton n’a plus qu’à se laisser porter pour improviser des chorus inspirés dont lui seul a le secret tout en maîtrisant parfaitement les
décibels qui vont avec.
N'oublions pas non plus la section des cuivres. Alan Skidmore (4) au tenor, Johnny Almond (5) au baryton et Derek Healey à la trompette
n’étaient pas là par hasard. Tous ont fait par la suite une carrière exceptionnelle.
Mais le succès de l’album reste bien sûr la grande performance de Clapton à la guitare, inventant pour l’occasion un son nouveau pour un disque de Blues. Un gros son, énergique et sauvage qu’il obtient avec une Gibson Les Paul 1960 originale peu utilisée, achetée en Juin 1965 dans le magasin de Lew Davis à Charin Cross, qu’il a l’idée de brancher à un puissant ampli Marshall.
Après la sortie de l’album, partout dans le monde, des guitaristes ont été subjugués par la puissance de cette guitare.
Presque du jour au lendemain, la Les Paul Singlecut supprimée du catalogue Gibson vers 1960 devient l’instrument indispensable des guitaristes de blues anglais ou européens et les guitaristes de blues blancs américains délaisseront leur Fender Telecaster pour goûter de la Gibson sans s’être aperçus que déjà Albert King jouait sur une Flying V série « Korina » et que Freddy King jouait sur une ES 335 !
Gibson, qui a toujours eu le sens des affaires, relance la fabrication des Les Paul en 1968.
Marshall sautera sur l'occasion pour en faire une pub.
(1). The Beano est un hebdomadaire britannique de bande dessinée pour enfants publié par D. C. Thomson & Co. depuis juillet 1938. C'est l'un des plus anciens hebdomadaires de bande dessinée encore publiés, derrière Il Giornalino (1924), Le Journal de Mickey (1934) et Spirou (avril 1938), et c'est le plus vieux au Royaume-Uni. Dans les années d'après-guerre, à son apogée, le magazine était vendu à plus d'un million d'exemplaires, tout en restant un peu moins populaire que l'autre hebdomadaire de D. C. Thompson, The Dandy (1937-2012). S'il reste au XXIe siècle le « plus populaire des périodiques de bande dessinée britannique », ses ventes ne s'élevaient plus en 2011 qu'à 38 000 exemplaires.
(2). John McVie
John Graham McVie est né le 26 novembre 1945. Quand John Mayall commence à former un groupe de Chicago blues, les Bluesbreakers, son idée initiale est
d'embaucher pour la section rythmique le bassiste Cliff Barton du Cyril Davies All Stars. Barton décline l'offre mais donne à Mayall le numéro de téléphone de McVie, l'encourageant à laisser une
chance au prometteur bassiste. Mayall contacte McVie et lui demande de passer une audition ; il lui propose peu après la place de bassiste des Bluesbreakers. Il quitte Mayall en 1967 pour
former Fleetwood Mac. Son nom de famille, combiné à celui de Mick Fleetwood est à l'origine du nom du groupe qu'il rejoint peu de temps après
sa création par le guitariste Peter Green en 1967, en remplacement de Bob Brunning.
(3).Hughie Flint
Hughie Flint est né le 15 mars 1941 à Manchester. Batteur anglais connu notamment pour sa collaboration avec John Mayall dans les Bluesbreakers avec qui Il joue
durant environ cinq ans et participe aux albums Blues Breakers with Eric Clapton (1966), Crusade (1967), A Hard Road (1967) et So Many Roads (1969).
Il quitte John Mayall en 1970 et forme avec Tom McGuinness (ancien guitariste de Manfred Mann) le groupe McGuinness Flint.
(4). Johnny Almond
Après avoir quitté John Mayall (qui a pris l'habitude d'être quitté), il fonde (sur le conseil de Mike Vernon) le Johnny Almond music Machine. Pour cela il s'entoure, à la guitare, de Steve Hammond, ancien d’Eric Burdon et Chris Farlowe qui rejoindra plus tard Quatermass, fleuron obscur du rock progressif anglais; à la basse, de Roger Sutton qui est un ancien de Tim Rose, Julie Driscoll et Steampacket, et fondera Nucleus, groupe phare du jazz expérimental anglais; à la trompette, de Geoff Condon qui est un ancien de Zoot Money et Chicken Shack; quant au batteur, ce sera Alan White, ancien comme Almond de l’Alan Price Set et qui sera le batteur du Yes de la grande époque.
Johnny Almond joue de trois saxophones, de deux flutes, de l’orgue, du vibraphone, de la clarinette basse et même du Mellotron.
(5). Alan Skidmore
Fils du saxophoniste Jimmy Skidmore, Alan, saxophoniste ténor anglais, né le 21 avril 1942 à Londres, aura une préférence pour le jazz. Il a joué avec de nombreux musiciens de jazz et de blues dont John Mayall, Herbie Hancock, Chick Corea, Alexis Korner, Georgie Fame, Soft Machine et l'orchestre de Van Morrison.
L'album en détail
ALBUM LP ORIGINAL.
BLUES BREAKERS JOHN MAYALL WITH ERIC CLAPTON
DECCA LK 4804 UK. JUILLET 1966.
John Mayall – lead vocals, claviers, guitare, harmonica
Eric Clapton – guitar, lead vocals on "Ramblin' on My Mind"
John McVie – bass guitar
Hughie Flint – drums
Alan Skidmore – tenor saxophone (B1, B3, B5)
Johnny Almond – baritone saxophone (A5, B1, B3, B5)
Derek Healey – trumpet (B1, B3, B5)
Gus Dudgeon – ingénieur
Mike Vernon – producteur
Enregistré aux Decca Studios, West Hampstead. Londres.
en avril 1966.
FACE A
1. "All Your Love" (Otis Rush) – 3:38
2. "Hideaway" (Freddie King/Sonny Thompson) – 3:17
3. "Little Girl" (Mayall) – 2:36
4. "Another Man" (Mayall) – 1:47
5. "Double Crossing Time" (Clapton/Mayall) – 3:04
6. "What'd I Say" (Ray Charles) – 4:28
FACE B
1. "Key to Love" (Mayall) – 2:08
2. "Parchman Farm" (Mose Allison) – 2:22
3. "Have You Heard" (Mayall) – 5:56
4. "Ramblin' on My Mind" (Robert Johnson) – 3:08
5. "Steppin' Out" (L. C. Frazier) – 2:30
6. "It Ain't Right" (Little Walter) – 2:45
Pourquoi peut-on dire que ce disque reste un monument du blues britannique après un demi siècle ?
Pour les premières émotions qu'il a offert à une nouvelle génération qui découvrait le blues.
Pour le plaisir qu'il nous donne encore.
Parce que le blues des anglais était nouveau. Il était joué très fort, il était gai, il était joyeux. C’était un blues qui incitait à danser dans les clubs. C'était un blues qui mêlait le feeling
du blues au son du rock.
Parce que l’album a fait découvrir Hideaway, All Your Love, Perchman Farm, Gamblin' On My Mind, It Ain’t Right à une cohorte de jeunes.
Parce que comme le disait Benoît Feller dans Rock & Folk n°119 à propos de l'album : "Combien furent-ils à courir dans les rues, sous la pluie, un solo de ce disque dans la tête ?"
Parce que c’est le point de départ de groupes emblématiques comme Savoy Brown Blues Band, Chicken Shack, Fleetwood Mac, Ten Years After et bien d’autres.
Malgré tout, cinquante ans après, laissant ma nostalgie de côté, je vais essayer d'être lucide.
Clapton y est pour beaucoup mais ne fait pas tout !
Ce LP n'aurait jamais existé sans Mayall et ses Blues Breakers, et réciproquement bien sûr.
On mesure aujourd’hui les progrès qu’il a fait au chant. Le faire chanter sur "Ramblin’ On My Mind » ne fut pas la meilleure idée de l’album. En revanche, ce morceau met en évidence le feeling blues de John Mayall au piano.
Sur "It Ain't Right" Clapton aurait pu être remplacé par bien d'autres guitaristes alors que John Mayall démontre qu'il est un harmoniciste de haut niveau.
Sur "Key To Love", joué très rapide, on remarque surtout l'excellence de la section des cuivres avant la prouesse de rapidité moins inspirée d'Eric "Slowhand" Clapton.
On peut également remarquer qu'après le départ de Clapton pour former les « Cream », les Blues Breakers s’en sortent parfaitement. Les albums de 1967 « A Hard Road » avec Peter Green remplaçant Clapton et « Crusade » avec Mick Taylor qui prend la place de Green parti fonder Fleetwood Mac sont des disques du même tonneau.
Sur tout le reste Clapton n'est pas "Dieu"... mais un très grand guitariste. Grâce à lui les Blues Breakers prennent leur envol et John Mayall une notoriété internationale.
Cinquante ans plus tard l’album reste un classique et un collector incontournable qu’il faut avoir.
Préférez la réédition en CD qui contient à la fois les versions mono et stéréo car les deux mixages sont très différents, voire complémentaires.
Écoute de l'album :
Jean-Louis Guinochet
QUELQUES IMAGES EN VRAC
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