WEBZINE FEELING BLUES N°16

 

    CARREFOUR DES AMOUREUX DU BLUES DANS LE SUD

                                                                                                                                                 Trimestriel

 

                                                     octobre / novembre / décembre 2015

 

 

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DOSSIER JJ THAMES "Une Diva du Mississippi" par André Fanelli

DANIEL BLANC "Le Blues en français" par André Fanelli et Jean-Louis Guinochet


                                                                Photo Alain Hiot. 2015.

 

   UNE DIVA DU MISSISSIPPI

                                                                                     Par André Fanelli

 

 

 

 Photo Alain Hiot. 2015.



JJ Thames est une jeune chanteuse, en pleine possession de ses moyens et avec qui il faudra peut-être compter. Elle appartient à une génération qui s'est ouverte à des horizons musicaux multiples qui ne sont rien d'autres que leur environnement en quelque sorte naturel. Le blues n'est qu'une des composantes dans lesquelles on vient puiser si on en a le goût.

Il faut admettre que la communauté africaine-américaine est toujours un terreau fertile en terme de création musicale. Mais les formes anciennes du blues ne concernent qu'un public réduit. Ce public étant constitué -comme chez nous d'ailleurs- majoritairement par des personnes relativement âgées. J'ai personnellement pu constater aux U.S.A., dans plusieurs festivals, qu'une programmation fortement axée sur le blues noir traditionnel mobilise surtout des audiences africaines-américaines adultes voire âgées. Lorsqu'arrivent des «stars blanches» on retrouve l'affluence du jeune public.





On ne peut être choqué de voir des artistes vagabonder au travers des styles musicaux mais on peut regretter quelquefois d'être venu pour une certaine musique... et d'entendre autre chose.
Pour JJ cet éclectisme est une marque de maturité et de professionnalisme pour un artiste digne de ce nom, maître de sa technique et de son expressivité..
N'oublions pas que nombre de très grands noms du blues ont été formés sur le tas de manière empirique. Des gens comme Muddy ou John Lee par exemple, n'auraient pas pu jouer autre chose que leur musique car il n'en avait pas l'envie certes mais pas davantage la technique nécessaire.
A l'inverse, celles et ceux qui comme Thames ont appris la musique au sens académique ne se posent pas de questions et jouent tout ce qu'ils peuvent jouer selon leur goût ou leur fantaisie. Ou selon ce qu'ils pensent bénéfique pour leur carrière.
«je trouve de la passion (dans d'autres musiques que le blues ) »






Le destin de J.J. Thames est assez inhabituel pour une chanteuse de blues. En effet, elle est né dans le Michigan où son père travaillait à Detroit pour General Motors, elle a malgré cette origine plutôt modeste bénéficié d'un enseignement musical approfondi mais plus encore d'un enseignement très spécial. Elle nous déclarait ainsi, lors d'un entretien au Bagnols Blues Festival :


«j'étais dans une école Montessori. Fondamentalement c'est un système scolaire qui favorise vos possibilités. Ainsi, à un très jeune âge on essaie de déterminer ce qui sera le mieux pour vous. Pour moi, c'étaient le langage, l'art et la musique. Aussi la première chose qu'il me firent rencontrer fut la musique classique. »


(…) «Ma première musique fut la musique classique. J'ai suivi une formation classique. Tu sais, j'ai commencé en chantant des arias italiens ou français. Mon vocal coach disait que j'étais une soprano flemmarde...
Je suis une soprano mais je préfère fréquenter les altos.
J'ai débuté dans le classique quand j'avais environ 5 ans mais j'ai commencé à vraiment étudier de façon formelle à 9 ans. »


Elle explique son surprenant itinéraire musical du classique au blues :

«c'est grâce au jazz. J'ai été mis en contact avec le jazz quand j'avais 13 ans et c'est à ce moment que j'ai commencé à pratiquer le jazz et la progression du jazz au blues a été naturelle. »

Sa culture classique est pour elle capitale :

«les gens qui apprennent la musique classique connaissent le temps, l'histoire... Bien entendu vous avez des styles différents et c'est normal. Mais en jazz, en blues et rhythm and blues les gens n'expriment quelquefois que la musique du moment. Maintenant. Pas hier. Pas demain. Et la culture classique, c'est de considérer toutes choses. »

Lorsqu'on s'étonne de cette importance accordée à la formation classique, JJ précise :

«la musique classique est écrite, tout est indiqué, où sera le crescendo, où il faudra être tranquille et où l'on doit tomber en pâmoison et toutes ces choses.»


La passion de la musique ne réside pas seulement dans le champ classique.

«Je la trouve aussi dans d'autres musiques. Et quand je l'entend dans d'autres musiques, ce sont des musiques que je veux chanter. Et c'est dans le blues que je l'entend le plus. Tu sais le Blues est où tu es. Je veux dire que c'est une affaire de feeling. Ça peut être une simple, une très simple composition mais c'est la manière de chanter qui compte. Ce qui importe c'est le feeeling que vous y mettez. Le cœur, la passion. Et je trouve ça dans la musique classique. Ainsi le classique m'a préparé au blues. Il n'y a pas opposition, c'est la même chose.»


Qui sont les grandes inspiratrices de notre chanteuse ?


«Au temps où j’étais une écolière j’aimais les chanteuses de jazz. J’ai commencé avec Billie Holiday. Je suis tombée amoureuse de Billie. Et je n'écoutais qu'elle. Tout ce qui me tombait sous la main, j’avais environ 12 ou 13 ans. Quand je suis allée dans le Mississippi, ça a été Etta James, Tina Turner (de la période avec Ike) et basiquement toutes les chanteuses. J’essayais de retrouver un peu de moi même dans chacune d’elles.
J’ai découvert Koko Taylor plus tard. Il y a 5 ou 6 ans. J’étais effrayée par la voix de Koko. J'étais effrayée par le poids et la puissance de cette voix. Mais j’ai appris à la comprendre.
Tu sais quand tu évolues dans le classique et le jazz, cette façon de chanter fait froncer le sourcil parce qu’elle crée un risque pour votre voix. Mais une fois que tu as appris comment ont fait, c’est super.»

Et Bessie Smith ?


«Bessie Smith ? Il y a une chanson d’elle que j’ai entendu et qui m’a surprise. Send me to Electric Chair. J’ai entendu ce blues. La femme a tué son mari… Tu sais si on regardes le vieux blues, les femmes étaient très puissantes. On pouvait être effrayés par elles.
Elles étaient… capables de faire n’importe quoi. Dans un sens il y a en moi un peu de ça.
Mais pas trop. Je ne veux pas aller sur la chaise électrique.» (rires)

 

 

 

Mais revenons à l'histoire de JJ.


La rencontre avec le blues a été possible parce qu'elle a eu des mentors efficaces :

«j'ai de merveilleux mentors très actifs dans le domaine du blues.L'un de mes mentors, Andy Hardwick, a été saxophoniste avec Tina Turner, je veux dire Ike et Tina Turner. Il a aussi joué avec Etta james. Ainsi étaient ceux qui m'ont élevé musicalement.
Mes parents n'étaient pas musiciens.
Je ne connaissais rien du blues à 18 ans quand j'ai déménagé pour la première fois dans le Mississipi. Je pensais que le blues était ennuyeux. Tu sais je pensais que c'était une histoires de vieux mecs dans un bar enfumé. Un type avec sa guitare, un type qui tape du pied et gémit à propos de la cueillette du coton... (rires) »

En 2010, la naissance de son troisième fils la place dans une situation matérielle difficile et il lui faut renoncer à la musique pour assurer le quotidien de la famille.. C'est une époque très dure qui la voit exercer de multiples petits boulots.

«C'était très difficile de maintenir la maisonnée. A un moment, j'avais quatre emplois, pour parvenir à conserver pour mes enfants un environnement favorable à leur équilibre mental, émotionnel et physique »
explique-t-elle à un journaliste de BluesBlast

 




En 2012, elle se retrouve dans l'incapacité de payer le loyer de l'hôtel très modeste où elle vit. Elle va alors connaître la rue et la condition de SDF avec ses deux gosses. C'est dans cette période qu'elle écrit "Tell You What I Know" qui sera « sa » chanson.

Malgré la nécessité d'affronter une si mauvaise passe, elle a tout de même l'occasion de chanter avec divers groupes. Cela lui permet d'aborder des styles très différents.

Elle choisit de retourner au Mississippi. C'est là que sa carrière va prendre un tour nouveau.
Elle signe chez DeChamp Records une compagnie basée dans l'Etat.
Ses premières faces sont produites par le président de la compagnie, Grady Champion, musicien bien connu du Mississipi, ayant publié chez Malaco, assisté de la vice-présidente Carole De Angelis.

 

 

                                                Au Bagnols Blues Festival. Photo Alain Hiot. 2015.

 

 

Mais ce résultat n'est pas venu tout seul. Il a fallu travailler très dur.

 

JJ se souvient : 

«Mes mentors m'ont guidée, spécialement Andy. Il était très dur avec moi. Je voulais chanter tous les standards de jazz. C’était parce que je me sentais à l’aise dans ce répertoire et je pensais qu’ils étaient beaux. Et il disait : « Personne ne veut entendre ça. » Et moi de rétorquer : « oui ils aimeront ça ». « Non, ils n’aimeront pas » et il attaquait « Dust My Blues, Sweet Home Chicago, Down-Home Blues.
Je n’avais jamais entendu ces chansons. Je ne savais pas qu’elles existaient, je ne connaissais rien à leur propos.
J'ai travaillé avec lui dans le hall d’un grand hôtel durant 4 ans. Et durant tout ce temps il me disait OK rentre chez toi et apprends ça. Il me donnait envion 5 chansons à apprendre… pour le lendemain. Je retournais à la maison et j’écoutais. Et ça me semblait simple. Je n’avais pas besoin de les apprendre. Il n’y avait rien de complexe ...
Et à mon retour si je ne les chantais pas comme il convient, il me faisait asseoir. Il me disait assieds toi et reste assise. Et je ne pouvais pas chanter de tout le reste du show et il ne me payait qu’une partie de mon cachet. Aussi j’ai appris les morceaux…
Et ce fut la meilleure chose qui me soit arrivée car j’ai construit une carrière à partir de ça. Mais je ne le savais pas vers 18 19 ans Je n’y ai jamais pensé alors.»

Au Bagnols Blues Festival. Photo Alain Hiot. 2015.

 

 

Ce premier séjour en France a ravi JJ Thames. ?

 

Ecoutons là l'évoquer :

 

« C’est triste de rentrer… Je prévois d’y revenir plusieurs fois. J’adore la France.

Et mes musiciens sont fantastiques. Ariane les a rassemblés. C’est mon manager. Elle a monté le groupe et ça ne pouvait pas être mieux.J’aimerais bien les mettre dans ma valise et les emporter aux USA !

Ils sont remarquables : leur éthique professionnelle, leur passion musicale, leur engagement, leur désir d’apprendre … et ça c’est sans prix. »

                                                  JJ Thames au milieu de ses musiciens : Anthony Honnet (claviers), Vincent Cegielsky (batterie), Fabrice Joussot (guitare et chant) et Yannic Villenave (basse).

 

 

JJ Thames a-t-elle l'occasion ou le temps d'écouter la musique des autres ?

« Je fais des efforts pour écouter (d’autres musiciens, d’autres musiques). Je veux dire qu’il est facile pour un musicien de faire des tournées et d’être occupé tu sais mais on peut en arriver à une stagnation, on devient blasé or c’est par l’apprentissage qu’on s’encourage nous même et qu’on trouve notre propre inspiration
Je veux dire qu’il y a tant de musiques dans notre environnement
Particulièrement au travers d’Internet et de la technologie.
Il est possible de trouver des trucs, des enregistrements rares et à partir de ces musiques d’essayer de nouvelles choses. Tu sais il n’y a rien de nouveau. Rien de nouveau. C’est tout du recyclé. C’est tout… (rires)

Des choses qui ont déjà été créées et sur lesquelles vous mettez votre empreinte.Tu sais, je fais des efforts pour aller écouter d’autres musiques
En fait, rien n’est nouveau, je le répète ce qui sort vient, à la base, de choses du passé ainsi je veux créer ma propre expression à partir de quelque chose qui m’a précédée. »

JJ Thames au Bagnols Blues Festival. Photo Alain Hiot. 2015.



Et actuellement, qui retient l'attention de JJ ?

« Kathleen Battle. Elle a enregistré un album avec les Marsalis et une bande de musiciens de jazz/ Elle chante des berceuses et des spirituals mais il y a aussi du blues dans tout cela…
Wow, c’est une soprano fantastique tu sais…
Je ne m’attendais pas à ça. Je ne la savaits pas capable de délivrer le message comme elle le fait. Merveilleux.
Souvent, les bluesmen sont plutôt limités vocalement. C’est parce qu’ils n’ont pas appris normalement.
Aussi quand on a une personne qui a eu un enseignement convenable, qui a une tessiture superbe et qu’elle chante du blues, du Soul et du jazz, c’est formidable
C’est quelque chose à quoi il faut aspirer.
Si vous en avez l’occasion écoutez donc So Many Stars par Kathleen Battle sur Youtube. »

Au Bagnols Blues Festival avec Fabrice joussot à la guitare. Photo Alain Hiot. 2015.



En conclusion provisoire nous ne pouvons que constater que JJ THAMES s'insère dans un grand mouvement qui a vu et voit surgir ou s'affirmer de nombreuses chanteuses aussi bien africaines américaines comme Shakura Saida, Peaches Statten, Nellie Tiger Travis, Lady A, ou blanches telles Janiva Magness, Kerrie Lepaï, etc.

Ces vocalistes, à un moment ou à un autre, se voient confrontées au défi du down-home blues... et y répondent parfaitement.
Lors de la récente «European Blues Cruise» nous avons pu assister à des duos improvisées entre Nellie Travis et Lady A. Je crois pouvoir affirmer que ce furent de fort beaux moments. Dignes de leurs devancières, les deux chanteuses nous ont offerts un moment privilégié. Et, en toute simplicité, je crois savoir de quoi je parle...

Nous avons tous de bons moments à venir.
Mais rendons la parole à JJ :

«Nous pouvons tous nous identifier avec le Blues. Quel que soient notre âge, notre race ou notre culture. Il est universel. »

N'est-ce pas une belle conclusion ?


André Fanelli.

 

 

 

JJ THAMES
Tell You What I Know
DeCHAMP RECORDS – DC100214 - 2014

1. Souled Out
2. Hey You
.
3. I Got What You Need
4.
4. My Kinda Man
5.
5. No Turning Back
6.
6. Can You Let Somebody Else Be Strong

7. I’ma Make It

8 .I Believe

9. Just Enough

10. Rhinestones

11. Tell You What I Know


David Hyde (basse), Vince Barranco (batterie), Sam Brady (claviers) and Celeb Armstrong (guitare) invités : Grady Champion (producteur, harmonica), guitaristes Eddie Cotton, Doug Frank and Danny Scallions, Richard Beverly (trompette), Todd Bobo (tenor sax) et Mike Weidick (trombone).

Cet album nous entraîne du sud au nord, des studios Stax jusqu'aux grands moments d'Atlantic. Certains y retrouvent des accents du Philly Sound. Mais sur ce style je n'ai guère d'expertise...

Certes, le disque ne peut complètement rendre compte du talent scénique d'une artiste. Mais on peut plus ou moins deviner l'apport de la dimension « live » par de multiples indices. En l'occurrence, la voix de J.J.Thames laisse entrevoir toute une gamme de sentiments qui ne peuvent que se retrouver, amplifiés sur scène : sensualité, colère, ironie, émotion... Au fond, tout simplement le feeling.
Dès le premier morceau, c'est le choc. On s'immerge dans un univers sonore fascinant. La voix de J.J. Véhémente, expressive nous empoigne immédiatement.
Retour vers le blues le plus basique sur un riff avec "Hey you".

"I Got What You Need":  "I got what you want, if you got what I need", tout un programme !

Tout au long de ce morceau au rhythme déhanché, la voix de J.J., sexy à souhait, déroule un chant sensuel où se succèdent séduction et mises en garde. Il faut être à la hauteur pour jouer avec J.J. Elle a ce que vous voulez... avez-vous ce qu'elle veut ?
Et que dire du chant de JJ Thames dans "My Kinda Man" ou "No Turning Back" : la maîtrise du phrasé, les accents déchirants sont dignes d'une grande vocaliste. Ce dernier morceau nous offre un solo torturé du guitariste qui nous entraîne à sa suite vers des sommets.
J.J. sait aussi donner aux reprises une dimension qui lui est propre comme en témoigne la version, poignante, de l'éternel "I believe" de Ray Charles. On retrouve dans ce chant de l'amour déçu la puissance sombre d'un certain gospel. Un grand moment.
Mais il serait juste de nous étendre sur chacune des plages de cet album. Mais il n'y aurait plus la surprise de la découverte...

Qu'attendez-vous pour le commander ?

André Fanelli

 

 

 

 

 https://www.facebook.com/jjthames

 

 

 


                                                                          Par André Fanelli et Jean-Louis Guinochet

 

 

 

 

Le mot "blues" est apparu dans l'univers des chanteurs et musiciens français dès le lendemain de la première guerre mondiale. Mais, ne nous y trompons pas, le mot ne correspondait pas forcément à sa signification présente. Tout au moins au sens musical.
Le "blues" c'était forcément quelque chose de lent et de triste. Mélancolie à tous les étages. Noir à broyer à profusion. L'idée même d'une musique étiquetée "blues" joviale, voire truculente et énergique n'avait pas sa place dans le grand public que seuls les connaisseurs, comme leur nom l'indique, connaissaient...
Sans oublier un peu de piment érotique. André Warnod décrivait ainsi en 1922 dans son bouquin "Les bals de Paris" l'influence de la musique noire :"...le chant nègre vous coupe bras et jambes; on danse quand même mais presque inconsciemment, les gestes sont plus mous, plus lents, une sorte de voluptueux alanguissement pèse sur les couples."

C'était il y a longtemps... Même au sein du monde du jazz, ceux qui connaissait le blues dans les années 50 n'étaient pas si nombreux.
Un coup d'œil sur l'édition de 1958 (la première remonte à 1948) de la Disco Critique de Panassié nous permet de constater la présence de nombre de chanteurs et guitaristes appartenant aujourd'hui au Panthéon du blues, non seulement des artistes proches du jazz mais des gens comme Muddy ou Hooker par exemple.

Mais on ne va pas écrire une thèse, il s'agissait de rappeler le contexte.

Ce n'est pas parce qu'Hélène Martin chantait "Saint-Ouen Blues" qu'elle chantait le blues... En revanche, "Sa ballade de Bessie Smith" en est un superbe !

Salvador -sous le pseudo d'Henry Cording- s'est placé dans la droite ligne du rhythm and blues de l'après-guerre. Mais personne n'aurait fait un rapprochement avec le blues.

 

 

Pochette Saint-Ouen's Blues 1962 (paroles de R Queneau) et pochette de Ballade de Bessie Smith 1967.

 

Hélène Martin. La Ballade de Bessie Smith (1967) :

https://youtu.be/RDY3BUL1wvw

 

 

Henry Cording. Pochette original de 1956.                Pochette du disque remasterisé en 2015.

 

Henry Cording. Dis Moi Qu'tu M'Aimes Rock :

https://youtu.be/qjzb0dXXeJs

 


Donc aujourd'hui, et depuis maintenant de longues décennies, des artistes français chantent clairement le blues, le plus souvent en anglais, avec plus ou moins de réussite, la voix et l'accent faisant souvent défaut. D'autres ont choisi de le chanter en français, une autre voie tout aussi difficile, notre belle langue n'étant pas forcément adaptée aux exigences que requiert cette musique.
Pourtant, plusieurs d'entre eux ne s'en sont pas si mal sortis et leurs noms sont devenus une référence.


Mais si Benoit Blue Boy, Patrick Verbeke, Bill Deraime, ou Paul Personne incarnent, pour un public un peu plus large, une vision francophone du blues, la plupart des autres artistes ont bien du mal à se faire une place au soleil.
Pourtant en France, de nombreux chanteurs populaires de grande audience se sont frottés à l'exercice, Johnny Hallyday (Toute la musique que j'aime), Henri Salvador (Le blues du dentiste) ou Francis Cabrel (Sarbacane), des titres qui ont fait de très gros succès commerciaux. D'autres ont été programmés dans de prestigieux festivals de blues, en 2014 "M" Matthieu Chedid au Cognac Blues Passions et en 2015, Louis Bertignac au Cahors Blues Festival, mais nous nous étions quelque peu éloignés du blues !


La scène spécifiquement blues francophone a beaucoup plus de mal à s'imposer en France et ce n'est pas faute d'avoir des candidats. Mike Lécuyer que tout le monde connait notamment comme étant le créateur de la Chaine du Blues joue avec ténacité un rôle de porte étendard avec la création de son label Bluesiac spécialement consacré au blues en français. Son "écurie" comprend  Eric Ter, Witch Doctors, Yann Lem, Les Chics Types, Weeping Windows, Jeff Toto, Stangers in the Night, Les Blouzayeurs, Guillaume Petite, Zu, Daniel Blanc et bien sûr Mike lui-même, qui tous chantent en français.
Il y en a d'autres, bien sûr ! Dernièrement, Steve Verbeke vient de produire, avec beaucoup de talent, deux petits LP de blues en français que je trouve très réussis (voir en page 13 de ce même n°.)

 

                                                 CDs du Label Bluesiac. Image agrandissable.

 

 

Depuis quelques temps aussi, des artistes qui ont toujours chanté en anglais se risquent à quelques titres en français, comme récemment Manu Lanvin (deux titres sur son dernier album) ou Awek (un titre sur leur dernier album), pour ne citer que les plus connus.


Dans la préface du petit livre "Le Blues" de Stéphane Koechlin (Édition Libro Music. 2000), Patrick Verbeke écrivait : (Luther Allison me disait peu avant sa disparition tragique en 1997 : "Tu sais, je ne parle pas français, je ne parle pas vraiment bien américain, je parle blues. C'est ce que tu dois faire... Mais pour cela, emploie les mots de ta langue maternelle, c'est avec elle que tu seras le plus à même de transcrire et d'exprimer tes sentiments, surtout en improvisant..." )
C'est ce qu'a fait Roland Tchakounté. Arrivé en France en 1989, il a choisi sa langue camerounaise, le bamiléké, pour chanter ses notes blues. Cette langue africaine groove tellement bien (voir en page 13 de ce même n°) qu'on se pose l'éternelle question, la langue française est-elle adaptée aux différents rythmes spécifiques du blues pour groover ? Des auteurs-compositeurs acharnés sont arrivés à écrire des paroles faites de syllabes et de mots qui fonctionnent parfaitement, mais c'est rare, ce n'est pas "naturel".


De l'autre côté de l'Atlantique, en Louisiane, le français acadien ou cajun, également appelé "le français louisianais", est au service d'une toute autre musique. Créee par une population blanche avec de nombreux liens avec la musique country et le Western swing, elle ne rencontre pas le même problème qu'avec le blues. L'année dernière, un des représentants de la musique cajun, Zachary Richard (USA), programmé par l'Avignon Blues Festival nous avait donné beaucoup de plaisir, mais nous nous étions éloignés du blues.
Alors comment faire ? Je n'ai pas de réponse.
En anglais ou en français, aujourd'hui peut-être peu importe, pourvu qu'il soit gorgé d'authenticité et de sincérité.

 

 

Francis Matéo et Daniel Blanc lors de notre conversation à Salernes. Photo André Fanelli. 2015

 

À son retour du Festiblues de Montréal, nous avons rencontré l'arlésien Daniel Blanc et son bassiste Francis Matéo, un des premiers a avoir construit une carrière de bluesman exclusivement francophone. Au cours de notre conversation, il nous a fait part de sa passion, des difficultés rencontrées et de ses projets.

Daniel Blanc.

 

André Fanelli  < Bonjour Daniel, peux-tu nous expliquer où en est ta carrière actuellement, est-ce que cela correspond à ce que tu souhaitais ?                                        

Daniel Blanc  < Depuis l'âge de 20 ans je joue et je chante du blues. Du blues que je chante en français. En ce moment, ça marche très bien parce que j'ai de très bons musiciens avec moi. Ils comprennent le but de ma démarche. Je chante du blues en français depuis 30 ans maintenant. Pourquoi ? Parce qu'un jour le producteur de Trust m'a dit : "Si tu n'as rien à dire chante en anglais !". Je me suis aperçu qu'en fait, chanter en français c'était beaucoup plus explicite en France. Et même, parfois, nous avons joué devant des américains qui, finalement, sont très contents d'entendre la langue française à travers le blues même s'ils ne comprennent rien. Ma carrière reflète ma vie et ma passion, c'est le blues. Je suis producteur de mes disques, on se débrouille pour qu'ils soient distribués. On arrive à faire bouillir la marmite sans l'aide de personne.

Jean-Louis Guinochet < Quand on écoute tes deux derniers albums qui se suivent à deux années près, ils sont très différents. Le dernier, pourquoi ce titre "Uniquement Blues" ?

D < Parce que j'en ai eu assez d'entendre les programmateurs de spectacles et de festivals dirent que le blues en français n'existait pas. J'ai tellement entendu de critiques négatives sur ce que je fais que j'ai voulu prouver à tous ces gens que le blues en français ça pouvait exister. Voilà, tout simplement. En fait, je ne me suis pas trompé. J'ai embarqué mes musiciens avec moi, c'est un bon groupe qui me suit. Ça nous a ouvert pas mal de voies puisque depuis trente ans que je compose, je suis toujours là. J'ai donc eu envie de tout mettre dans ce Cd pour expliquer que le blues en français existait.

 

 

Les deux derniers albums de Daniel Blanc sur le label Bluesiac. Image agrandissable.

 

AF < On oublie une chose, c'est que les amateurs de blues sont intolérants et souvent ne connaissent que le blues de maintenant.
Essentiellement à la guitare, parfois à l'harmonica...mais le blues a des formes diverses, et lorsque Henri Salvador, il y a bien des années, chante le blues du dentiste avec le Big Band de Quincy Jones, c'est du blues, et je peux te dire qu'en tous cas les musiciens américains qui ont entendu ça ont considéré que c'était du blues en français. Pas du Chicago blues ou du Mississippi blues, mais du French blues. Il n'y a pas de raison de considérer qu'avec un Big band c'était bien, et que vous, parce que vous faites un blues plus électrique, ce serait mal !

DB < Après, c'est peut-être une question d'état d'esprit. Tu as peut-être une ouverture d'esprit plus grande que certaines personnes. On n'entre peut-être pas dans les critères de ce que veulent ces gens là pour leur spectacle, mais bon, nous existons et je fais partie de l'European Blues Union. On peut estimer que chaque artiste a le droit de chanter le blues dans la langue de son pays. Plus que la langue qu'on comprend ou pas, pour moi, c'est l'intention qui compte. Il vaut mieux bien chanter en français que mal en anglais !

AF < Tu es méridional et tu vis dans le triangle sacré dont Arles fait partie. Parles-tu provençal ?

DB < Un peu. Je le comprends surtout.

AF < Tu n'as jamais envisagé de chanter un titre... ?

DB < On me l'a proposé. 

AF < Ça peut être une piste intéressante !

DB < Je sais, on me l'a déjà proposé. Il y a des gens qui ont même traduit des textes sur des paroles que j'ai écrites, mais, en revanche  j'ai du mal à chanter en provençal parce que l'accent est très différent.

AF < Tu viens de l'endroit où il y a le meilleur accent !

DB < Oui, oui. Je sais. Mais pourquoi pas ?

 

 

   Quelques anciennes pochettes de DBT. Daniel Blanc Trio.

 

 

AF < À ce jour tu as fait combien d'albums ?

DB < Je ne sais pas vraiment, mais c'est entre 15 et 20.

AB < C'est un gros palmarès !

DB < Le premier album était un vinyle. On pliait les pochettes à la main, on les collait aussi à la main. Il y avait cinq titres. Un petit 45t avec cinq titres. Maintenant, on va dans des studios plus cossus parce que le son s'est amélioré. Chaque album est un peu notre enfant. Souvent, avec tout ce que ça peut entrainer, le financement, l'enregistrement, la création de la pochette, tout ça représente beaucoup de travail et pas mal d'argent, mais le résultat est l'accouchement d'un nouveau bébé.

JLG < Tu as sorti des albums en live et des albums studio. Tu as une préférence pour le studio ou le live ?

DB < Personnellement je n'aime pas le studio. Ça me coince.

AF < Tu fais un travail technique de ré-enregistrement, de coupures, d'intégration...

DB < Non, non. Par exemple, sur mon dernier album, pour l'enregistrement d'un blues, nous avons fait des réglages de guitare, c'était une Stratocaster. Il n'était pas prévu que je sois enregistré, et à la fin du réglage, le gars m'a dit pour moi c'est bon. Il avait enregistré le réglage. Nous n'avons fait qu'une seule prise.

JLG < Quand tu composes, ça se passe comment ? Ça vient comment ?

DB < La composition ! C'est dix secondes ! C'est une idée de guitare que j'ai dans la tête et j'appelle Pierre, Paul, Jacques pour leur dire écoute ça...

JLG < C'est d'abord la musique alors ! Avant le texte.

DB < Toujours ! D'abord une mélodie et après, même des fois un an après, j'écris le texte.

AF < Et, est-ce que c'est un sujet qui vient parce que, dans ta vie ou autour de toi, il s'est passé un évènement particulier ?

DB < Tout le temps !

AF < Donc là tu es bien dans l'esprit du blues.
Sur le plan musical tu joues avec les mêmes musiciens depuis longtemps ? Comment ça se passe ?

Francis Matéo

 

DB < Là, en ce moment ça se passe très Bien. Avec Francis nous avons joué ensemble pendant des années et ensuite nous nous sommes séparés lorsqu'il est parti en Corse. Depuis, il est revenu. Nous avons commencé avec le groupe DBT qui s'est arrêté pour des querelles internes idiotes.

JLG < DBT c'était Daniel Blanc Trio. Aujourd'hui, tu joues toujours en trio. Pourquoi avoir changé ce nom pour Daniel Blanc & Co ?

DB < Parce que aujourd'hui j'ai voulu soigner mon image. Avant j'avais la notion de groupe, on partageait même les royalties... Aujourd'hui, ça ne veut pas dire que je sois devenu un patron terrible, mais c'est mon nom qui est mis en avant.

Francis < J'en avais assez qu'on parle de DBT, je voulais qu'on parle de Daniel Blanc.

AF < D'ailleurs en France il n'y a jamais eu beaucoup de groupes en tant que tel. Très vite, il y en a toujours un qui part faire une carrière solo.

Francis < Oui Daniel a toujours voulu partager. C'est l'ancien batteur et moi qui l'avons poussé à prendre son nom, Daniel Blanc.

AF < C'est quelque chose d'être poussé à t'appeler par ton propre nom !

JLG < Quand on s'appelle Daniel Blanc c'est normal de chanter en français, non ? (rires)

DB < Bon ! Bien sûr ! Mais je suis un noir à peau blanche, en fait ! Je suis comme les noirs qui jouaient sans connaître le solfège. Je ne connais pas le solfège. Je joue la musique comme je la ressens

 

 

                                                                             Daniel Blanc dans les années 90.

 

 

AF < Et tous tes musiciens sont comme toi ?

 

DB < Non. Et justement c'est aussi pour ça que servent les répétitions. Pour que sur scène, quand ça décolle, ils soient formés à l'improvisation. Quand ça décolle ça décolle et moi je ne m'occupe plus de personne. C'est à eux de suivre.

AF < Un trio ça donne plus de liberté mais en même temps c'est un format exigeant pour un guitariste parce qu'il faut remplir.

JLG < C'est une des raisons pour laquelle tu as pris, depuis quelques mois, un pianiste ?

DB < J'ai pris un pianiste depuis trois mois environ et là on atteint vraiment le Nirvana ! On vient de terminer une série de concerts en Suisse. Il reste encore quelques petites mises au point, mais on est déjà vraiment un bon groupe à quatre.

JLG < Et l'harmo, ce n'est pas une couleur que tu souhaiterais ajouter ?

DB < Si, si. Mais moi je n'en joue pas ! Je ne sais pas en jouer.

AF < Puisque tu chantes en français, est-ce qu'il t'arrive de faire quelques reprises ?

DB < Oui, mais pas souvent. J'ai par exemple fait une reprise de Jimi Hendrix, également Cocaïne, ou une reprise de Sleepwalk, une ballade musicale de 1959 composée par Santo et Johnny, sur laquelle j'ai mis un texte en français et qui s'appelle "Pour toi". J'ai mis aussi des paroles sur un morceau de John Lee Hooker, que j'ai appellé Louis, c'est l'histoire de Louis qui habite Port St Louis avec six couplets, c'est un blues hyper long.

 

                                                                                                                                    Daniel Blanc & Co. Blues sur Seine. 2013.

 

JLG < Tout à l'heure, tu nous as fait part de tes difficultés à te faire accepter comme bluesman chantant en français. Si on remonte quelques décennies en arrière, il y a quelques bluesmen qui ont tout de même fait des carrières plus qu'honorables. Tu penses que les choses ont beaucoup évolué aujourd'hui ?

DB < Le constat c'est qu'aujourd'hui il n'y a plus personne, donc je me dis qu'à la limite le dernier ce sera nous ! Les groupes de blues français chantent quasiment tous en anglais. Nous avons une grosse perte de langue française. Nous sommes aller jouer au Canada il y a quelques semaines au Festival de Blues à Montréal devant un public francophone et ils nous ont dit que c'est la première fois qu'ils entendent du blues en français. Pour un pays qui revendique la langue française et qui aime le blues, en tous cas, pour les gens qui viennent au Festiblues, puisque c'est comme ça qu'il s'appelle, j'ai été surpris. En tout cas, nous avons vendu plein de Cds.

AF < Est-ce qu'il t'est arrivé de jouer avec des artistes américains ?

DB < Non jamais. J'ai fait le boeuf mais je n'en ai jamais accompagné. J'ai joué un fois avec Phil Guy, le frère de Buddy, nous avons fait le boeuf. Il avait remarqué qu'on avait un pianiste à l'époque, celui que j'ai récupéré il y a trois mois, et comme il lui manquait son pianiste, il l'a fait jouer avec lui toute la soirée. Mon pianiste s'est régalé ce jour là.

JLG < Aujourd'hui quels sont tes projets ?

DB < Nous allons commencer l'enregistrement d'un nouvel album. Je ne sais pas encore quand il sortira mais c'est un album que j'ai envie de jouer plus en slide que sur les albums précédents, un peu plus rock blues aussi que sur le Uniquement Blues, et j'ai l'intention de travailler avec un auteur pour des paroles. À Montréal, il y a un auteur qui est venu à ma rencontre pour me dire qu'il aimerait bien m'écrire des textes. Donc nous allons faire quelques essais pour voir si ça peut fonctionner. Et puis il y aura dedans toujours ma passion du blues.

AF < Est-ce tu auras un concept particulier, quelques chose qui collera à l'actualité ?

DB < Au niveau des textes ça collera toujours à l'actualité, ça c'est sûr. Mais il y a aura aussi de nouveaux musiciens. Un nouveau batteur qui joue avec nous depuis maintenant un an et demi. Un fou furieux de la batterie qui a 62 ans et 40 ans de pratique derrière lui. Grâce à lui, j'ai ré-instauré le solo de batterie en concert. Il aime la batterie comme moi j'aime la guitare ou Francis la basse... Nous avons un morceau qui s'appelle "Mercedes rose", parce que j'ai une Mercedes rose ! Et dans ce morceau il se lance dans un chorus impressionnant de 5 à 6 minutes...et les gens adorent ça. Ils sont aux anges ! On va donc essayer de le faire en plus court sur le prochain album.

                                                                           Serge Zaplana.

 

 

En plus, avec le pianiste qui vient d'arriver, nous allons avoir une nouvelle couleur de blues.

AF < Il joue de l'orgue aussi ?

DB < Oui, il joue de l'orgue aussi. Piano et orgue, forcément.

Jean-Luc Guillamo.

 

JLG < Ça va apporter une couleur tout à fait différente, sur un nouvel album comme en concert, et nous avons hâte de voir le résultat.
Le temps est passé bien vite, et merci Daniel et Francis pour cette conversation bien sympathique. Nous vous souhaitons encore plein de belles choses pour les années à venir.
Nos lecteurs, j'en suis sûr, auront encore le plaisir de vous voir très souvent en concerts.


Conversation recueillie le 12 septembre à Salernes (83).

 

Le site de Daniel Blanc and Co :

www.danielblancandc.com

Le site de Blusiac bluesiac.com Daniel Blanc au FestiBlues International de Montréal. Scène loto-Québec le

8 août 2015. Artiste invité: J. D. Slim :

https://youtu.be/0hiTtZHEXbA

Daniel Blanc and Co. Showcase à Toulouse. 7 mars 2013 :

https://youtu.be/eE-wy4Idm9k

 

 

 

 

 

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