N°18

AVRIL . MAI . JUIN  2016

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COMPTES-RENDUS DE CONCERTS

1. UROS PERIC. RAY CHARLES TRIBUTE. Centre Culturel Georges Brassens à Léognan (33), le 12 mai 2016, par Gilbert Béreau.

2. JAZZ & BLUES FESTIVAL de LÉOGNAN (33). Du 1er au 9 juin 2016. Par Gilbert Béreau.


UROS PERIC

RAY CHARLES TRIBUTE

CENTRE CULTUREL GEORGES BRASSENS. LE 12 MAI 2016 À LÉOGNAN (33)

Par Gilbert Béreau

Nous dirons que c'était le 'tour de chauffe' du 21eme Jazz & Blues festival qui, comme chaque année, se déroulera le premier weekend de juin. L'association avait réinvité l'artiste qui, à l'occasion du dixième anniversaire de la mort du 'Genius', avait triomphé le vendredi de l'édition 2014.

 

Il s'agit de ce jeune slovène du nom d'Uros Peric qui porte haut la musique de Ray Charles depuis maintenant une douzaine d'années. Les spectacles d'hommage se multiplient et on voit tourner des quantités de 'Tribute to xxx' ou 'yyy Tribute' ; il ne s'agit parfois que d'opportunités passagères, d'autres fois de prestations à caractère commercial et le tout sans beaucoup d'émotions. Ce n'est pas le cas pour Uros qui répond par avance à la question qui vous brûle les lèvres : « Je n'imite pas Ray Charles, je suis imbibé par lui ! ».

Nous vous fournissons une courte bio de cet artiste avec la présentation de son dernier album encore tout chaud,

(voir en page 9 de ce numéro de feeling blues).

 

 

 

Si en 2014 il était accompagné par le 'Bordeaux Big Band' et ses seize musiciens, Uros est aujourd'hui soutenu par un quatuor de virtuoses ; la “crème de la crème” dira-t-il, en français dans le texte. Drew Davies, le gallois rémois est un maître du sax ténor, Dave Blenhorn, l'australien de Gironde sait tout faire avec une guitare tandis que le bassiste Sébastien Girardot, autre australien mais parisien celui-là et Guillaume Nouaux, l'arcachonnais des Landes caché derrière ses fûts, représentent ce qui peut se faire de mieux en matière de section rythmique.

 

Dave
Dave
Drew
Drew

Guillaume
Guillaume
Sebastien
Sebastien

 

Ce soir, les arrangements sont bien sûr très différents, moins rigides qui laissent une grande place à l'inspiration de Drew et de Dave tout au long du show ; ils permettent aussi à Sébastien et Guillaume de briller au cours de plusieurs solos. En 2014, les chœurs étaient assurés par un trio répondant au nom de 'Divettes' et composé de jeunes allemandes ; aujourd'hui, Uros se produit avec trois de ses jeunes compatriotes slovènes et le trio est appelé 'The Pearlettes'.

Les musiciens prennent à la fois leurs places et leurs instruments, puis attaquent avec "Rockhouse" ; après quelques minutes Uros entre en scène pour joindre sa partie de piano à l'ensemble. Que voilà un bien bon pianiste ! Et c'était l'avis que m'avait confié un autre spécialiste, Kenny 'Blue Boss' Wayne lequel avait assisté au spectacle de 2014 puis fait le bœuf avec Uros, sans le connaître auparavant.

 


Très élégant et fini les vestes à gros carreaux que, peut-être, affectionnait Ray Charles qui ne les voyaient pas ; aujourd'hui Uros a revêtu un blazer uni gris-beige sur une chemise noire. Il enchaîne avec "Oh sometimes", une de ses compositions mais que Ray pourrait chanter s'il était encore de ce monde ; déjà, saxophoniste et guitariste montre le bout de leur nez et l'étendue de leur savoir-faire.

Puis on attaque le répertoire du Genius par un titre emprunté à la musique country, le très chanté "Born to lose" et l'illusion est là … Ray est revenu. Et pourtant, lorsqu'au calme on écoute une même chanson successivement par Ray puis Uros et vice versa, des différences apparaissent avec, en particulier, un timbre souvent moins rauque et des attaques plus tranchantes de la voix d'Uros. C'est donc en cela qu'on peut aussi parler d'illusion, car, outre la performance d'Uros, c'est aussi le spectateur qui entend ce qu'il est venu entendre … et il est généralement venu rencontrer Ray ressuscité.

Le spectacle est bien architecturé autour des succès de Ray mais ils ont été intelligemment saupoudrés tout au long du set et intercalés avec des titres moins connus et des chansons qui n'étaient pas à son répertoire. C'est ainsi qu'en matière de hits, nous entendrons "Hallelujah I love her so" au début du show, "Georgia on my mind" au milieu et "Hit the road Jack" à la fin.

Parmi les titres moins connus, par exemple le "Wee Baby Blues" pour lequel, et selon Billboard, Ray Charles aurait tenu le piano dans la version de 56 de Big Joe Turner, le compositeur mais dont il semble que lui-même n'ait jamais fait qu'une prise publique à Stockholm en 73. Uros nous en donne une version du même style, en blues très très lent, peu de vocal après une bien longue intro instrumentale durant laquelle piano, guitare puis saxo font assaut de musicalité. Ou encore "Do I ever cross your mind", également extrait du répertoire country, qu'il interprète seul au piano.

Concernant les tubes d'autres artistes, on a entendu "With you on my mind" de King Cole et "Got my mojo working", le classique du Chicago blues, pour une surprenante version particulièrement enlevée et avec des solos d'enfer.

 

C'est vers le sixième morceau qu'apparaissent les trois ravissantes Pearlettes, elles sont toute de noir vêtues, se prénomment Blažka, Katja et Suzanna et c'est carrément un duo avec Katja sur ce "Takes two to tango" que Ray chantait avec Betty Carter au tout début des 60's. Dans la foulée une superbe interprétation du classique "Route 66" que Ray chantait rarement mais qu'il avait fait à l'Olympia en 2000. Chaque choriste chante un couplet tandis qu'Uros assure les refrains et tous les musiciens auront l'occasion de briller chacun à leur tour avant que les Pearlettes ne reprennent la phrase finale à tour de rôle.

 

The Pearlettes. Katja, Blazka & Zanna.
The Pearlettes. Katja, Blazka & Zanna.

Au milieu du set, il quitte la scène pour aller se rafraîchir … et peut être tirer sur une clope ; les musiciens vont en profiter pour nous offrir un instrumental qui leur permettra de vraiment briller tour à tour. Uros revient avec un nouveau blazer tout sec ; avec lui il ramène "Georgia" avant un "Mess around" endiablé qui sera l'occasion d'un beau dialogue piano/saxo avant que Sébastien ne slappe comme un fou.

 

 

Et puis, on a beau reculer encore et encore, il faut bien finir par l'attaquer ce "What'd I say" qui sonne la fin du spectacle et qui se termine avec une salle debout qui applaudit à n'en plus finir pour réclamer un retour des artistes. Ils sont donc revenus pour une chanson de Don Gibson et un gros succès pour Ray ; c'est parti pour "I can't stop lovin' you" qu'Uros a introduit en la dédiant à sa compagne, là-bas au pays ...

 

Une magnifique soirée de musique avec un Uros toujours imbibé de son maître mais qui commence à doucement s'émanciper. Les succès entraînent les concerts et voilà qui lui permet d'être de plus en plus à l'aise sur la scène et de plus en plus chaleureux avec le public qui est devenu son public.

Sept dates sont d'ores et déjà signées en France d'ici à la fin 2016 et ne doutons pas que d'autres puissent se rajouter. Notre artiste ne chôme pas, d'ailleurs ne disait-il pas que c'est sur scène qu'il se sentait le plus heureux ? Notez l'imparfait car des choses ont récemment changées, il termine ce passage en France et, avant quelques concerts en Autriche, il tient à rentrer en Slovénie où un petit Nikola est né il y a un an qui l'attend … point encore pour des cours de piano mais pour quelques effusions.

 

Gilbert Béreau. Photos de Jean-Pierre Vinel.

 

Site d'Uros : http://urosperich.com/
Site de Drew Davis : http://www.drewdavies.net/
Site de Dave Blenkhorn : http://davidblenkhorn.com/
Site de Sébastien Girardot : http://sebastiengirardot.com/
Site de  Guillaume Nouaux :  http://www.guillaumenouaux.com/
Ce soir-là,    "Oh sometimes" : https://www.youtube.com/watch?v=7NEBsTtj6FE&feature=youtu.be
"Wee baby blues" : https://www.youtube.com/watch?v=vBQc6ffwGZY&feature=youtu.be
Avec les mêmes à St Maur à l'automne dernier : https://www.youtube.com/watch?v=jlDHkIgGbH4

 


JAZZ & BLUES FESTIVAL

À LÉOGNAN (33). DU 1er au 9 JUIN 2016

 

Par  Gilbert Béreau. Photos Jean-Pierre Vinel

 

Sur cette période l'association 'Jazz & Blues' a organisé 6 spectacles dont 2 soirées phares aux Halles de Gascogne de Léognan. J'entends vous parler des soirées en relation avec le Blues mais, à l'intention de ceux qui ne seraient pas monomaniaques en matière de musique, je me permettrai de vous indiquer les artistes présents les autres soirs. Pour ceux qui souhaiteraient plus de détails concernant ces soirées Jazz, je les invite à consulter le site de l'association : http://www.jazzandblues-leognan.fr/ (programmation / dossier reportage)

 

 

1er JUIN. 'BIGNOL Swing' au centre culturel 'La Ruche' de Saucats.

Plus d'une décennie d'existence pour ce Quartet qui produit des spectacles humoristiques sur une base de jazz manouche et de chansons venues d'autres domaines. 'Bignol' vient d'une contraction du premier nom de l'ensemble, nom qui demandait de les avoir bien accrochées pour pouvoir le porter puisqu'ils s'appelaient 'les Roubignoles'.

Trois guitaristes surnommés Yo (c'est le chevelu), Dje (le beau gosse) et Guibs associés à un contrebassiste Matt (c'est le benêt). Des titres manouches dont le "Minor swing" de Django, mais aussi, issus d'univers variés et traités façon manouche : "Just a gigolo", "Georgia on my mind" et même "Buena sera".

 

 

 

 

 

2  JUIN. 'Swing de poche' au centre culturel 'G. Pezat' de Beautiran

Sept musiciens qui swinguent comme un vrai 'Big Band' au grand complet. Une section rythmique 'à l'ancienne' avec Frank Duhamel (contrebasse) et Francis 'Speedy' Gonzales (batterie) soutient Pierre Muller (piano) et Michel Juy (guitare), deux énormes musiciens à la crinière blanche.

En première ligne, une section de cuivres formée de Thibaud Bonté (trompette), Fabrice Mounier (sax et clarinette) et Jim Husky (trombone). Ils offriront un grand hommage à ceux qui ont forgé l'histoire du swing, du jazz devrais-je plutôt dire, avec la part du lion pour le Duke, mais aussi le Count, Al Cohn ou Al Grey – grande soirée.

 

 

 

3 JUIN.  Léognan.  Festival Jazz & Blues
Hot Swing Sextet    /     Dominique Magloire & Michel Pastre Quintet

 

Hot Swing Sextet

Les deux soirées phares du festival démarrent avec le weekend aux Halles de Gascogne de Léognan ; celle du vendredi est traditionnellement qualifiée de 'soirée Jazz' et donc, la 'soirée Blues' est celle du samedi.

Le premier groupe de ce vendredi se nomme 'Hot Swing Sextet' et le but de ce combo bordelais est de vous ramener à la grande époque des clubs de jazz et de vous faire danser à vous en couper le souffle. En fond de scène, Ludovic Langlade et Erwann Muller, une paire de guitaristes, Franck Richard est à la contrebasse et Jéricho Ballan derrière les fûts.

Devant, le même Thibaud Bonté qui était avec 'Swing de Poche' en début de semaine fait des merveilles avec sa trompette et Jérôme Gatius lui donne la réplique à la clarinette ; ce même Jérôme que nous reverrons en duo la semaine prochaine.

 Le groupe joue le plus souvent sur des scènes basses, Jérôme et Thibaud ont alors l'habitude de venir se promener au milieu des danseurs pour une belle excitation mutuelle. Ce soir ils sont sur une scène haute, le public est assis et c'est l'ambiance concert. Une grosse prestation vitaminée au swing le plus pur, bourrée de classiques et qui s'achève sur l'inusable "Sing,sing, sing" au rappel.

 

 

 

Dominique Magloire & Michel Pastre Quintet

 

La seconde partie de cette soirée dévolue au jazz était dédiée à Billie Holiday et, pour ce qui me concerne, Billie c'est aussi, voire surtout, du Blues. Ce spectacle faisait suite à une vidéo-conférence qui avait été menée de main de maître en fin d'après-midi par Bernard Jouan, le président du Hot Club d'Arcachon. Cet hommage permettait de revoir Dominique Magloire accompagnée par le Michel Pastre Quartet, il est nommé 'Travellin' light with Billie' et il a récemment fait l'objet d'un long compte-rendu dans 'Feeling Blues' - voir N° 16-p 6 où vous trouverez, entre autres choses, de courtes bios des musiciens.

Le quartet prend possession de la scène, Michel présente le spectacle et les musiciens puis ils attaquent avec "Lester leaps in" de Lester Young, légendaire saxo chez le Count et fidèle ami de Billie qu'il avait surnommé 'Lady Day' … mais à qui il devait d'être appelé 'Pres'. Puis Michel appelle Dominique qui saute en scène avec une robe imprimée de grosses fleurs, regorgeant d'énergie et le crane toujours aussi bien rasé. Le programme est bien rodé qui se déroule comme raconté en page 6 du n° 16 avec parfois quelques petites variantes et surtout, on est en intérieur et une belle sono met en valeur la voix de la chanteuse et la qualité des prestations musicales.


Notons le "God bless the child", un des succès les plus connus de Billie, dont elle a écrit les paroles et que toute la salle attendait. Dominique le démarre juste en duo avec Raphael et sa contrebasse avant un beau solo de piano. Et dans la foulée ce sera "Solitude", qui était justement la face B du single "God bless the child" de Billie. Cette version bien bluesy est introduite par une très longue partie de piano que la chanteuse écoute religieusement, accoudée à l'instrument. "I cried for you" donnera l'occasion à François Laudet de briller derrière ses fûts avant que Dominique y aille de sa moquerie en introduction de "Don't explain" que Billie aurait écrit après qu'elle eût chopé son mari (Jimmy Monroe) avec du rouge à lèvre sur son col.

Puis, elle laissera les musiciens interpréter le thème de "The man I love" pendant qu'elle partira le chercher dans le public. Le croiriez-vous ? Elle l'a trouvé,  ramené sur scène et fait asseoir sur un tabouret de bar. Puis, pendant qu'elle a chanté le titre, elle a tout fait pour nous montrer qu'il était bien l'homme qu'elle aimait et devant tant de preuves, il dut être difficile à ce monsieur de demeurer stoïque.

Ils avaient réservé le monument qu'est "Strange fruit" pour le rappel et Dominique l'a présenté de manière émouvante. Cependant, dès la fin, elle a annoncé ne pas vouloir rester sur une note aussi triste et elle nous a chanté "Cheeck to cheeck", un titre qui n'est d'ailleurs pas sur l'album hommage de Dominique et Michel. Du grand art et une bien belle soirée de blues et de musique !!!

 

 

 

 

 

 

4 JUIN. Léognan. Festival Jazz & Blues
Electric Boots    /    Soul Serenade   /   Lisa Simone

 

Electric Boots

Ce samedi 4 juin sonnait la quatrième soirée du festival, la seconde des soirées phares sises aux Halles de Gascogne, celle traditionnellement dédié au Blues et à ses dérivés. Le spectacle s'est ouvert avec la prestation du trio 'Electric Boots', un groupe dont 'Feeling Blues' vous a parlé plusieurs fois. Court rappel pour ceux qui n'auraient pas suivi ou auraient pris de longues vacances : 'Electric Boots' est un jeune trio instrumental formé il y a une paire d'années mais également un trio de tout jeunes ; cependant formé de garçons qui sont immergés depuis bien longtemps dans la musique. Composé de deux Julien à l'orgue et à la batterie, respectivement Bouyssou et Lavie, et d'un Charly Dufau à la guitare, voilà un ensemble qui présente une bien belle cohésion. Leur répertoire est basé sur cette Soul de Memphis à dominante d'orgue qui faisait florès bien avant leurs naissances grâce, entre autres, à Booker T Jones. Mais leurs goûts les portent vers le travail des Meters d'Art Neville et de gens moins connus tel Baby Face Willette, longtemps organiste du guitariste Grant Green. Disciples de tels maîtres, le programme nous offrira une soul flirtant souvent avec le blues ou le jazz d'une époque bénie où l'orgue Hammond avait su résister à l'agression barbare des synthés.


C'est d'ailleurs à partir du répertoire de Baby Face Willette qu'ils démarrent leur prestation avec "Mo' rock" et aussi ce "Face to face" qui fait partie de toute leurs sorties. Mais dès leurs débuts nos gaillards se sont attaqués à la composition de leur matériel et ils ont remarquablement marché dans les empreintes de pas de leurs modèles. Mais s'ils sont doués pour aligner des mélodies et fabriquer des arrangements, ils manquent d'imagination pour les baptiser ! C'est ainsi que nous entendrons une belle composition récente titrée "Positive attitude", mais une plus ancienne … astucieusement appelée "Compo".

Nous avons remarqué que nos p'tits gars avaient retrouvé de la voix pour des vocalises lors de la reprise du "Oh! Ah! Dee Dee" popularisé par l'organiste Wild Bill Davis et composé par son batteur Crazy Chris Columbo mais surtout, pour l'intro et la conclusion à trois voix du "Hand clapping song" des Meters. Après trois quarts d'heure, nous avons senti venir la fin lorsqu'ils ont entonné leur titre étendard, "Electric boots", une compo de Charlie sur laquelle ils demandent au public de crier le nom du groupe à la fin des phrases musicales. Encore un superbe rock avec "The chop", puis le public debout réclame et obtient les minutes additionnelles de fin de match et ce sera un rappel endiablé. Du bien beau travail …

 

 

Soul Serenade

 

Un court entracte et c'est l'ensemble 'Soul Serenade' qui prend possession de la scène. Sextuor de parisiens, il compte pourtant un régional de l'étape avec Laurent Vanhee, le contrebassiste descendu s'installer en Gironde il y a quelques années.

 'Soul Serenade' s'est construit autour de la voix d'Emilie Hédou révélation à 'Jazz in Marciac' il y a trois ans. Dotée d'une voix ample, puissante et au timbre agréable, elle occupe bien la scène et sait parfaitement passer la rampe. "Soul serenade" est le titre d'un morceau de King Curtis (1964) et, parmi de nombreuses reprises, il en est une d'Aretha Franklin en 1967 avec justement Curtis au sax. Il se trouve qu'Aretha est l'idole d'Emilie au point que les trois albums du groupe lui sont dédiés; les deux premiers sont simplement appelés 'Hommage à Aretha Franklin' (vol 1 & 2), le troisième est titré 'Try a little tenderness' un titre d'avant-guerre, copieusement repris et en particulier par Aretha en 1962.

Mais ce combo c'est aussi la réunion de routiers parfaitement aguerris à l'univers du jazz ; en particulier avec les deux membres du groupe dixieland 'les Haricots rouges' que sont Michel Senamaud (batterie) et Pierre Jean (piano) qui en était même membre fondateur dès 1963. On retrouve Pierre Louis 'Pilou' Cas (sax ténor) et Laurent Vanhee dans le groupe 'Pink Turtle' ; combo dont le trompettiste Michel Bonnet a longtemps été membre avant de rejoindre le 'Paris Swing Orchestra' où il retrouve aussi Michel Senamaud. Bref, à part la jeune et belle Emilie, l'ensemble ne compte pas vraiment de perdreaux de la dernière couvée en ses rangs mais bien des superbes musiciens dont les carrières parlent pour eux.

La satisfaction était palpable mais il était tout aussi perceptible que le public avait besoin de digérer les chocs reçus depuis le début de soirée. Un entracte fût donc le bienvenu avant d'entendre celle qui avait déplacé l'énorme foule qui garnissait la salle.


Ils démarrent leur prestation avec un titre instrumental et en trio classique, piano, basse, batterie, lequel est rejoint par les deux cuivres en cours de morceau. La charmante Emilie entre en scène et c'est avec "Good times", issu de leur premier album qu'elle démarre sa prestation de ce soir. Elle enchaîne avec un titre du second disque, "Rough lover", sur lequel Pierre Louis se démène comme un beau diable et joue avec Emilie. Pour ceux qui ne connaissaient pas ce groupe, il fût vite clair que l'admiration d'Emilie pour Aretha Franklin ne la conduisait pas à marcher dans ses pas et ils nous offrirent des versions toutes personnelles des titres de la diva ; avec d'ailleurs une part belle aux compos de Sam Cooke. Si à peu près toutes les plages de leur dernier CD furent interprétées, ils surent parfaitement les intercaler avec de petits bijoux des deux albums précédents tout comme ils ont sacrément bien réussi à varier les rythmes tout au long du show.

Beaucoup de grands moments et en particulier la ballade "Do right woman" et son introduction au piano solo ou "Baby I love you" qui démarre tristement à la contrebasse avant une accélération soutenue par les claquements de mains des autres musiciens qui finiront par reprendre leurs outils avant que les deux cuivres ne fassent leur cour à Emilie. Citons encore cette version de "Think" où tout le monde se régale mais en particulier la section rythmique et visiblement Laurent et Michel jubilent. Après une telle prestation il n'était pas question d'essayer de partir et le public debout exprima sa détermination à avoir un 'encore'; ce fût "Try a little tenderness" à l'accompagnement minimaliste avant l'entrée en scène des cuivres à mi morceau et … un faux départ.

 

 

Lisa Simone

 

Cette jolie femme qu'est Lisa Simone est tout juste au début de sa troisième vie d'adulte, celle d'une chanteuse internationalement reconnue et admirée. Après l'adolescence chaotique qui suivit la séparation de ses parents, elle a cherché à reprendre son souffle dans l'armée de l'air américaine et a ainsi vécu sa première vie de femme. Chacun sait combien il est difficile d'échapper à son passé et les effluves du chaudron musical dans lequel elle était tombée petite ont fini par la rattraper; ainsi, elle a vécu une seconde vie sur Broadway et ses comédies musicales. Sa maman, Nina, décède au début du millénaire et ce sera le long chemin des retrouvailles avec un premier hommage en 2008, l'album de reprises 'Simone on Simone' qui demeurera confidentiel. C'est en 2014 que Lisa complètement apaisée et, elle aussi, installée en France, délivre le CD 'All Is Well' qui permet d'apprécier ses compositions. Suivent des tournées couronnées de succès et c'est 'My world', une seconde galette au sortir du dernier hiver. Ceci pour les présentations, oublions Nina et parlons de la musique et du chant de Lisa qui n'a strictement rien à voir avec ceux de sa mère.

Ceci pour les présentations, oublions Nina et parlons de la musique et du chant de Lisa qui n'a strictement rien à voir avec ceux de sa mère.
Depuis le début de cette troisième vie, Lisa est fidèle au même trio de musiciens : le guitariste Hervé Samb, pur produit sénégalais arrivé en France il y aura bientôt vingt ans, Reggie Washington bassiste new yorkais, très demandé et installé en Belgique depuis des lunes, enfin Sonny Troupé superbe batteur originaire de Guadeloupe. A noter la part importante prise par Hervé dans les musiques de la quasi-totalité des nouveaux titres de Lisa.

C'est lui qui pénètre le premier sur scène et attaque à la guitare, il est rejoint par Sonny, puis par Reggie et le morceau se poursuit jusqu'à l'arrivée de Lisa, dreadlocks, pantalon noir et tunique anis. C'est "Tragique beauty" issue du dernier CD puis, elle mélangera harmonieusement les chansons des deux albums avec tout de même une majorité de titres du nouveau disque. La musique de Lisa est difficile à classifier tant elle est à la croisée d'une multitude de styles. Nous avons entendu une soul moderne (Expectations), des ballades folk (Ode to Joe), des accents funk (Unconditionally) voire blues rock (Hold on) ; mais le tout toujours très aromatisé aux épices africaines grâce à des musiques et/ou des arrangements d'Hervé. Le site 'Africultures' le définit d'ailleurs comme : « un Charlie Parker à cordes dont l'africanité surgit à chaque coin de phrase ». N'oublions pas non plus que Lisa, toute jeune adolescente, s'est retrouvé en Afrique avec maman et que ce continent l'intéresse particulièrement ; d'ailleurs ne venait-elle pas de rentrer de congés en Côte d'Ivoire.

Lisa parle un français impeccable et prend visiblement un grand plaisir à s'adresser à une salle qui lui fait fête et, à une année d'écart, j'ai trouvé qu'elle avait fait de gros progrès dans la façon de mettre le public dans sa poche. Si Nina n'a plus rien à voir dans la musique de sa fille, elle est bien présente dans ses préoccupations. Ainsi lorsqu'elle reprendra "If you knew " elle nous expliquera que Nina l'avait composée alors qu'elle n'avait que trois ans ; avant de chanter "This place", elle indiquera qu'elle a écrit ce titre l'été dernier sur le piano de Nina est dédié à la maison de Carry-le-Rouet et bien sûr elle n'oubliera pas l'énorme "Ain't got no, I got life".

C'est assise en bord de scène, pieds nus et dans la position du lotus qu'elle nous dévoilera son monde d'aujourd'hui, "My world" est le titre de son nouvel album. Plus tard elle fera longuement le tour de la salle en interprétant "Unconditionally" avant de vouloir se retirer ; mais ce public qu'elle venait de surchauffer ne l'entendait pas de cette oreille. Alors Sonny est revenu seul pour une leçon de batterie puis, après de longues minutes, il fût rejoint par ses deux compères avant le retour de Lisa pour une reprise bien africanisée de "Suzanne", le tube de Cohen avant l'inusable "Work song" qui avait aussi été un succès pour Nina. Une grande soirée et ce n'est que longtemps, très longtemps après que le dernier spectateur a quitté la salle.

 

 

8 JUIN.  Alain Barrabès & Jérôme Gatius au Château Lantic à Martillac (33)

 

"Echoes of spring" c'est bien sûr la merveilleuse mélodie composée à la veille de la seconde guerre mondiale par Willie 'The Lion' Smith qui devait ce surnom en à sa bravoure durant la première.

Mais c'est aussi le titre d'un spectacle d'Alain Barrabès (piano) & Jérôme Gatius (clarinette) et d'un album paru il y a deux ans. Voilà deux instruments qu'on trouve rarement en duo et ne vous y trompez pas, ce n'est pas une clarinette accompagnée par un piano, mais un vrai dialogue entre deux musiciens de talent.

Au phrasé et à la superbe sonorité de la clarinette répondent des mains qui virevoltent sur l'ivoire. Tous deux installés, le nez au vent, au bord de notre côte atlantique ont perçu les effluves de ce jazz qui réchauffe les cœurs et fait taper du pied. Du swing, du swing jusqu'à plus soif au cours de deux long sets avec beaucoup d'emprunts à Fats Waller, du James P Johnson , du Jack Teagarden …

 

 

9 JUIN. Thierry Ollé Trio au Château Latour-Martillac

 

Thierry Ollé est un pianiste et organiste de Toulouse qui a connu de multiples expériences dans le domaine du jazz mais qui a aussi travaillé avec des bluesmen et des artistes de variété de qualité.

Ce soir, son trio se composait du batteur Guillaume Nouaux avec qui Thierry joue souvent et de Carl Schlosser un saxophoniste de talent qui fit le bonheur du 'big band' de Claude Bolling mais qui avait tendance à se faire oublier, tout du moins par chez nous. Thierry avait annoncé la couleur en début d'année, 2016 est pour lui l'année de l'orgue ; ce soir il nous a régalés avec les chaudes sonorités de son instrument mêlées aux fulgurances du sax de Carl et à la délicatesse du soutien de Guillaume.

 Bien évidemment il y eût un hommage à Jimmy Smith au travers d'un pot-pourri (The cat/The sermon!). La soirée s'est terminée sur un bœuf avec l'invitation du bluesman Cadijo, du contrebassiste Pierre-Yves Sorin pour ce qui concerne les bordelais et du batteur toulousain Guillaume Destarac. Une soirée de bonheur ouverte par une dégustation de crus de Pessac-Léognan !

Gilbert Béreau. Photos Jean-Pierre Vinel

 

 

En aparté, Gilbert Béreau sur le stand Feeling Blues au Jazz & Blues Festival à Léognan.